Hemeryck : « Savoir utiliser des apps ne te fait pas encore expert du numérique »

Les mutualités saluent la nouvelle procédure de l'Inami pour les applications mobiles médicales. Elles espèrent que les soins assistés par le numérique trouveront ainsi rapidement une place permanente dans le financement public. Cependant, l’intégration des outils numériques dans nos soins de santé doit s’accompagner d’une éducation suffisante, soulignent-elles. Des patients et des prestataires de soins. Ainsi que des jeunes et des moins jeunes.

Cet article s'inscrit dans la campagne Digital-In-Health de l'Inami à laquelle notre fédération participe (voir également l'encadré en bas de page pour plus d'info).

Comment intégrer les technologies médicales numériques dans nos soins de manière à ce qu’elles apportent un soutien maximal aux patients et aux prestataires de soins? C’est sur cette question que nous avons organisé une table ronde en décembre 2023 avec les trois plus grandes mutualités belges. L’initiative s’inscrivait dans le cadre de la campagne Digital-In-Health de l'Inami.

Au total, six thèmes ont été abordés: (1) télésurveillance et aide à la décision clinique; (2) financement; (3) intégration des technologies médicales numériques dans les parcours de soins; (4) résultats, données de santé et qualité des soins; (5) empowerment des patients; (6) littératie en santé (numérique).

Le rapport intégral de la table ronde est disponible ICI pour téléchargement. Ci-dessous, nous résumons les principaux propos tenus sur trois de ces thèmes. 

Besoin d’un nouveau cadre de financement mais aussi de rapidité

Elaborer un cadre de financement pour les technologies médicales numériques est complexe et demande donc du temps. Néanmoins, il faut accélérer les choses, sinon nous risquons de créer des circuits parallèles et de voir se développer des soins à plusieurs vitesses.

 

Bernard Landtmeters (MC): « Les bundled payments sont cruciaux pour l’intégration des technologies médicales numériques dans nos soins. S’il faut commencer à chercher des financements pour chaque application distincte, cela va devenir très compliqué. » 

Ingrid Fleurquin (MC): « La dernière chose dont nous avons besoin, ce sont différentes sources pour rembourser des implications individuelles. » 

Marc Geboers (MLOZ): « Dans ce sens, la nouvelle procédure de remboursement pour les applications mobiles médicales est un signal important des autorités. »

Bernard Landtmeters (MC): « Désormais, nous devons aussi donner un coup d’accélérateur en termes de financement. Le budget pour les technologies médicales numériques est encore très faible aujourd’hui. En outre, la main d’œuvre au niveau des autorités semble aussi limitée. »

Ilke Montag (Solidaris): « Il s’agit non seulement d’un manque de personnel qui a les connaissances nécessaires, mais aussi d’un manque de personnel tout court. Dans un projet tel que celui-ci, il faut être suffisamment rapide. Dès lors, il faut aussi des collaborateurs pour le suivi, la coordination, etc. »

Ingrid Fleurquin (CM): « Nous ne pouvons pas pousser digital medtech ver d’autres formes de financement, sinon nous créerons des soins à des vitesses différentes. »

Marc Geboers (MLOZ): « Entre-temps, la pression sur nos épaules augmente pour intégrer les technologies médicales numériques dans notre assurance complémentaire. Toutefois, nous ne prenons pas encore cette voie. »

Ingrid Fleurquin (MC): « Pourquoi? Parce que cela relève du financement public. Nous devons veiller à ne pas pousser les entreprises et les établissements de soins vers d’autres formes de financement, sinon nous créerons des soins à des vitesses différentes. »

Le patient devient son premier prestataire de soins

Les soins soutenus par le numérique sont un levier pour le patient empowerment. Le numérique modifie la répartition des rôles dans les soins de santé, mais entraîne en même temps de nouveaux besoins.

 

Ward Hemerijck (MC): « Un terme comme ‘télésurveillance’ évoque en fait une image erronée: en tant que patient, vous êtes surveillé à distance par l’équipe soignante. Cela donne l’impression que les patients restent passifs dans leur propre processus de soins. Or, grâce aux nouveaux outils, ils peuvent justement jouer un rôle beaucoup plus actif. Peut-être devrions-nous utiliser le terme ‘télécoaching’? Cela montrerait clairement qu’il existe une dynamique entre le patient et l’équipe soignante. »

Ingrid Fleurquin (MC): « Les outils de télésurveillance sont plus qu’une extension du prestataire de soins; ils offrent une occasion unique de proposer une voie à double sens. »

Bernard Landtmeters (MC): « Cette nouvelle répartition des rôles entraîne aussi de nouvelles questions. Prenons la surveillance du diabète. Imaginons qu’un outil signale qu’une hypoglycémie va arriver. Chez qui se trouve la responsabilité de réagir: le patient ou l’équipe soignante? »

Marc Geboers (MLOZ): « À cet égard, il est important de déployer correctement l’IA. Il s’agit de configurer l’algorithme de manière à ce qu’une impulsion soit donnée au patient et à l’équipe soignante. Et d’y inclure le facteur d’urgence: si une intervention professionnelle est nécessaire de toute urgence, l’équipe soignante doit être prévenue différemment. » 

Ward Hemerijck (CM): « Il faudra bientôt un nouveau profil dans les soins : quelqu’un qui suit et interprète les données collectées numériquement. »

Ward Hemerijck (MC): « En effet, il faudra bientôt un nouveau profil dans cette équipe de soins: quelqu’un qui suit et interprète les données collectées numériquement, fait appel à un professionnel des soins si nécessaire... Nous devrions déjà travailler à la définition de ce profil aujourd’hui: quelle formation est nécessaire, à quoi ressemblera la répartition des tâches, qui porte la responsabilité finale... »

La littéracie en santé numérique est un point d’attention à la fois pour les patients et les prestataires de soins

Être capable d’utiliser couramment la technologie ne signifie pas encore que l’on soit automatiquement ‘numériquement averti’. Les initiatives relatives à la littératie en santé (numérique) ne devraient donc pas être limitées aux générations plus âgées

 

Ingrid Fleurquin (MC): « On s’aperçoit que la pandémie de Covid-19 a entraîné des changements. Depuis lors, les gens recherchent beaucoup plus activement des informations sur leur santé, des outils numériques qui leur permettent d’accéder à leurs données, des solutions de téléconsultation, etc. »

Ward Hemerijck (MC): « Avec ces outils numériques, les jeunes générations sont automatiquement plus vite à l’aise. C’est pourquoi de nombreuses initiatives de littératie de santé numérique s’adressent principalement aux générations plus âgées. Mais c’est totalement faux. Certes, les jeunes sont souvent plus à l’aise avec la technologie, mais ce n’est qu’une petite partie de l’alphabétisation. »

Marc Geboers (MLOZ): « Comparez la littéracie en santé numérique à la conduite automobile. Vous pouvez être techniquement parfait au volant, mais si vous ne comprenez pas la circulation, vous causerez des accidents en un rien de temps. »

Marc Geboers (MLOZ): « Ce qui compte surtout, c’est la vue d’ensemble. C’est ce qu’on appelle la ‘sagesse numérique’. Comparez cela à la conduite automobile. Vous pouvez être techniquement parfait au volant, mais si vous ne comprenez pas la circulation, vous causerez des accidents en un rien de temps. » 

Ward Hemerijck (MC): « Un exemple: nos jeunes membres trouvent probablement très rapidement des applications dans leur magasin d’applications qui leur permettent de scanner des taches cutanées suspectes. Mais ils ne sont pas encore en mesure de déterminer lesquelles de ces applications sont dignes de confiance. C’est l’un des plus grands défis de la littératie en santé numérique: apprendre aux gens à faire la distinction entre ce qui est digne de confiance et ce qui ne l’est pas. »

lke Montag (Solidaris): « Les mutualités peuvent et devront jouer un rôle encore plus actif dans ce domaine au cours des prochaines années. Les digicoaches que nous formons actuellement en sont un exemple concret. Mais l’éducation est aussi une responsabilité de l’ensemble de la société: l’enseignement, l’industrie, les autorités, le secteur des soins de santé, etc. »

Campagne Digital-In-Health

Cette interview s'inscrit dans la campagne Digital-In-Health de l'Inami.

Intégrer des technologies numériques innovantes aux soins de santé peut apporter une valeur ajoutée tant aux patients qu’aux prestataires de soins. Avec cette campagne, l'Inami veut faire connaître davantage encore aux prestataires toutes les possibilités offertes par une intégration pertinente de ces technologies dans leurs processus de soins et les inviter à sauter le pas.

Notre fédération soutient l'initiative en collaboration avec Agoria.

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