L’humain et non la technologie détermine la percée de l’IA

Les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) font de plus en plus souvent les gros titres. Les applications potentielles ou proposées frappent l’imaginaire, mais comme pour les (autres) percées scientifiques, il n’est pas toujours évident pour les personnes extérieures de savoir si elles seront déployées dans la pratique et quand elles le seront.

Certains dessinent parfois aussi des images apocalyptiques d’une société future gérée par les robots et les machines. Dans le secteur des soins de santé, on craint plus particulièrement que le contact personnel entre le prestataire de soins et le patient disparaisse et que les soins se « déshumanisent ». La réalité tend pourtant à prouver le contraire, mais les exemples positifs retiennent plus difficilement l’attention…

Des exemples positifs de l'utilisation de l'IA attirent moins l'attention que les exemples négatifs.

Dans notre secteur, l’IA est aujourd’hui plutôt utilisée pour offrir un (meilleur) soutien aux prestataires de soins et aux patients.

Certaines applications de l’IA déchargent ainsi les professionnels de la santé de leurs tâches répétitives et/ou administratives, ce qui leur permet de consacrer plus de temps au patient. D’autres exploitent les données pour mieux adapter les soins aux besoins, aux souhaits et à la qualité de vie du patient. Plus encore qu’aujourd’hui, les soins seront de plus en plus orientés vers le « sur mesure » dans les années à venir.

Prévention accrue et de meilleure qualité

Outre ce soutien direct aux prestataires de soins et aux patients, l’IA crée également des perspectives au niveau de la population.

Nous pouvons utiliser l’intelligence artificielle pour extraire de nouvelles informations de la montagne toujours croissante de données de santé et autres données pertinentes. Des informations qui nous permettront de réaliser des progrès considérables en termes de prévention (thème largement inexploré en Belgique à ce jour), de détection (précoce), de diagnostic et de traitement.

Pourrions-nous également réaliser ces avancées sans l’aide de l’IA ? C’est probable, mais cela exigerait dans tous les cas beaucoup de temps et de capacités.

D'autre part, quiconque ayant déjà essayé ChatGPT ou d’autres applications de l’IA sait qu’on ne peut pas faire aveuglément confiance à tout ce que l’IA « produit ». Pour éviter les accidents, il importe que nous en soyons tous conscients et, dans la mesure du possible, que nous comprenions (dans les grandes lignes) ce qu’il se passe sous le capot des applications d’IA.

Pour éviter les accidents, il importe que nous comprenions plus ou moins ce qu’il se passe sous le capot des applications d’IA.

Ceci n’est toutefois pas suffisant. Nous devons également organiser la « protection » au niveau de la société, par exemple en instaurant un minimum de règles pour garantir une application correcte et sûre de l’IA.

AI Act européen

EU ParlementDans ce contexte, l’Union européenne a récemment annoncé la mise en place du tout premier cadre législatif de grande envergure, à travers la loi européenne sur l’intelligence artificielle ou « EU AI Act ».

Grâce à cette législation, les applications problématiques de l’IA (p. ex. le « social scoring ») seront interdites, la commercialisation des applications à haut risque (p. ex. applications médicales d’IA) sera soumise à des exigences précises et il sera obligatoire d’indiquer où et quand l’IA est utilisée (p. ex. dans le cas d’avatars ou de chatbots alimentés par l’IA).

Dans le secteur des soins de santé, une législation stricte est déjà en place depuis un certain temps en ce qui concerne les technologies médicales, y compris celles qui sont pilotées par des logiciels et par l’IA. L’EU AI Act va plus loin et prévoit des garanties supplémentaires, notamment en matière de transparence, de surveillance et d’évaluation. Un moyen d’ancrer plus solidement les principes éthiques dans la législation.

Au risque de vous décevoir, ceci n’ouvrira pas immédiatement la voie à un déploiement à grande échelle des applications d’IA dans les soins de santé. Beaucoup de questions doivent en effet encore être clarifiées.

De nouvelles questions

L’utilisation de l’IA dans les soins de santé soulève donc de nouvelles questions en ce qui concerne la démontrabilité et la mesurabilité des modèles d’IA (pouvez-vous expliquer ce qu’ils font, pourquoi et comment ?), des aspects cruciaux lorsqu'il s'agit du financement/remboursement des applications.

Plus que jamais, l'aspect humain sera déterminant dans la percée de l’IA.

Il convient de renforcer les connaissances et la confiance dans l’IA, tant dans le chef des prestataires de soins que dans celui des patients. Le professionnel de la santé de demain devra absolument être capable de travailler avec les technologies de l’IA. Il devra être en mesure d’évaluer si une certaine application d’IA peut compléter ses connaissances et son expertise, de sorte à prendre de meilleures décisions et à comprendre les limites et les risques qui vont de pair.

Une communication claire et transparente entre le prestataire de soins et le patient restera la pierre angulaire de soins axés sur la personne, y compris à l’avenir.

Une communication transparente avec le patient restera dans tous les cas la pierre angulaire de soins axés sur la personne. Il incombe au prestataire de soins et au patient d’évaluer, en concertation, si certaines technologies d’IA peuvent être intégrées dans le programme de soins et, si oui, lesquelles, étant entendu qu’elles doivent l’être au profit de la santé, du bien-être et de la qualité de vie du patient.

Au-delà du battage médiatique

Si les médias prédisent presque quotidiennement des scénarios utopiques ou dystopiques sur « l’avenir avec l’IA », à nous de porter notre regard au-delà du battage médiatique. Comme pour chaque nouvelle technologie, nous devons envisager l’IA de manière critique et réaliste. L’IA offre certes de formidables opportunités, mais il n’est jamais bon d’avancer tête baissée.

Acquérir pas à pas de nouvelles connaissances sur l’IA dans le secteur des soins de santé et introduire progressivement de nouvelles applications d’IA dans la pratique, voilà la seule manière d’instaurer durablement la confiance dans le chef des patients, des prestataires de soins et des décideurs politiques. Tout le monde parle (à juste titre) de la « médecine fondée sur les faits ». Respectons cela pour l’IA également, en sachant que la collecte de données probantes prend du temps.

Au final, les soins de santé ne dépendent pas tant de l’une ou l’autre technologie, mais plutôt de la manière dont nous, en tant que société, pouvons organiser au mieux les soins et les proposer à tous.

À propos de l'auteur

Danny Van Rojen est un expert politique spécialisé dans la politique européenne en matière de technologie numérique, et plus largement de politique de santé.

Danny Van RoijenIl a contribué à différentes publications internationales sur l’utilisation et les applications éthiques dans les soins de santé et a donné plusieurs conférences à ce sujet, notamment pour la Commission européenne et l’Agence européenne des médicaments. Il a également été membre du groupe de parties prenantes eHealth de la Commission européenne. 

Contact? LinkedIn